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Comme un oiseau...
22 mars 2009

Le pain et le voleur

I

l était un jour un voleur qui souffrait d'un grave défaut, du moins pour les gens de sa sorte. Il était

sans cesse attiré plus loin que le prochain magot. Il cherchait autre chose. Quoi ? Il ne savait dire.

Un miracle, un pur trésor, une vraie lumière apaisante. Il en souffrait. Il ignorait d'où venait sa

mélancolie, et donc il vivait avec elle comme avec ces amours pesantes qui parfois embarrassent

l'âme.

Un soir, en quête d'une proie, il pénétra dans une maison sans défense. Au milieu de la table, rien,

sauf un pain à la croûte ronde. Et comme il lui venait devant, ce pain soudain lui dit :

- Mon frère, que cherches-tu exactement ?

- Qui a parlé ? dit le voleur.

- C'est moi, lui répondit le pain. Ne voulais-tu pas un miracle ?

- J'espérais, mais tu me surprends.

- Je vois clair dans ton âme triste. Tu voudrais découvrir enfin quelque chose que rien n'abîme,

savoir ce que c'est la musique, aimer comme je sais aimer.

- Aimes-tu ceux qui te dévorent ? lui dit l'autre, moqueur, amer.

- Qui n'aime pas ne peut nourrir. Veux-tu mon pouvoir ?

- Certes oui, ce qui m'enrichit m'intéresse.

- Sache que tu devras passer par le chemin qui fut le mien.

- Raconte-moi dit le voleur.

- Que l'oreille du coeur écoute. Je fus d'abord, un jour d'automne, enfoui dans la terre des morts. J'ai

pourri. J'ai dormi longtemps. Quelque chose en moi a germé. Je me suis senti renaissant. Alors

m'est venu un désir, un élan, un rêve de ciel. Mais la nuit où je m'efforçais était si lourde, si glacée !

Tout me disait : « Quelle folie ! Comment un être aussi chétif pourrait-il trouer ces ténèbres ? A-t-on

la preuve qu'il fait jour, quelque part, dans cet univers ? »

Cent fois j'ai voulu renoncer. Cent fois la rage m'a repris. Comment ai-je fait ?

Je l'ignore. Un matin un brin d'herbe est né. C'était moi, vivant, ébloui. L'air bleu, le soleil, les

oiseaux, la liberté, quelle merveille! Je me suis encore élevé, je me suis offert aux averses. J'ai

connu cette fierté d'être qui fait croire à l'éternité. Vinrent les premiers jours d'été, l'armée ferrée des

moissonneurs, l'inutilité des prières. Je fus lié, battu, broyé, réduit en poudre sous la meule, noyé,

pétri, jeté au four, enfin tiré par mon bourreau hors des braises de cet enfer. C'est ainsi et pas

autrement que je me suis fait nourrissant. J'ai ce pouvoir incomparable de donner ma force aux

vivants. Le veux-tu, dis, voleur de riens ?

- Non, garde-Ie, répondit l'homme. Je préfère cent fois rester avec mes questions sans réponses.

Aimer est trop dur. Salut.

Henri Gougaud, Contes clés.

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